Les enfants intérieurs – Interview de Benoit Francq


Interview de Benoit Francq, formateur et thérapeute

Fabian Delahaut (FD) : Selon vous Benoit, d’où vient la procrastination ?

Benoit Francq, formateur et thérapeute
Benoit Francq

Benoit Francq (BF) : L’hyperactivité peut être un symptôme de la même chose. Je pense à l’anxiété qu’il y a derrière… la procrastination est le symptôme d’un problème plus profond. « Je ne donne pas tout de suite, je donnerai demain. » ça a à voir avec la théorie freudienne du stade anal : je prends, je donne. Ca se passe plus ou moins entre 2 et 5 ans.

FD : Et pour ceux qui maîtrisent mal la théorie freudienne… ?

BF : Il s’agit de la capacité à donner de soi au plan symbolique.

Les gens procrastinent sur des choses qui les ennuient ou quand il y a un enjeu psychologique, jamais sur des choses neutres.

FD : Comment peut-on la traiter ?

BF : Dans certains cas simples, on peut intervenir rapidement, avec, pourquoi pas, des techniques de thérapie brève. Sinon il faut aborder ce qu’on appelle les sous-personnalités psychoactives (SPPA), les enfants intérieurs.

FD : Les enfants intérieurs ?

BF : Quand je vous parle, ce n’est pas toujours la même partie de ma personne qui s’exprime. Nous sommes morcelés. Examinons un instant le pronom « JE » que nous utilisons pour nous désigner à chaque phrase.

Connaissez-vous ces moments inconfortables dans lesquels une force inconnue prend possession de votre corps, de vos émotions ou de vos paroles? Il s’agit de situations « plus fortes que vous », dans lesquelles s’exprime une colère inhabituelle, où vous perdez vos moyens, où vous posez un acte d’auto-sabotage, où vous subissez les conséquences d’un oubli inconcevable, où des paroles déplacées sortent de votre bouche, etc.

Est-ce alors toujours le « JE » habituel, l’adulte, vous qui lisez ceci, qui êtes aux commandes de votre vie?

Force est de constater que des impulsions fortes, des émotions fortes (boules dans le ventre, cœur et gorge serrée, maux de tête) ou des pensées incongrues traversent notre « JE », sans notre consentement d’adulte. Il arrive fréquemment que des dialogues intérieurs accaparent notre attention, ou comme on le décrit parfois affectueusement malgré les désagréments associés, qu’un vélo tourne à plein régime dans la tête.

Ces parties de nous-mêmes qui émergent occasionnellement sont en fait des sous-personnalités, des enfants intérieurs, à qui nos éducateurs et nous-mêmes avons enlevé le droit d’exister à un moment de notre histoire. Ils existent malgré tout, enfermés dans les caves de notre personnalité, d’où ils surgissent de manière souvent incongrue pour se rappeler à notre bonne attention.

Ce n’est donc pas toujours la partie la plus adulte qui s’exprime. Des parties de nous prennent le contrôle : la peur, l’anxiété, par exemple, … qui renvoient à nos enfants intérieurs liés à la première partie de la vie. Tout ceci est évidemment un processus inconscient (au mieux préconscient) pour la plupart des gens. La personne ne décide jamais consciemment de dire : « allez, je vais procrastiner sur ce coup-là » ! C’est ce que les psychologues appellent un « mécanisme de défense ».

Ken Wilber fait d’ailleurs le lien entre les spirales dynamiques et l’évolution, le développement de l’individu : un être humain traverse les mêmes niveaux d’évolution, du nourrisson à l’adulte, où qu’il soit dans ce monde.

Vous venez au monde aquatique, vous découvrez les émotions, apprenez à les gérer, puis, le mental…

FD : Et quels sont ces niveaux selon Wilber ?

BF : Wilber nomme ces étapes :

  • La phase archaïque (vie intra-utérine à 2 mois).
  • La phase magique (de 2 mois à un an).
  • La phase impulsive (de plus ou moins 2 ans à plus ou moins 7 ans).
  • La phase mythique (de 7 à 14 ans, phase qui correspond aussi au stade autocratique dans la société).
  • La phase conventionnelle (qui démarre après et correspond au monde démocratique).

Ces différentes phases s’imbriquent les unes dans les autres comme des poupées russes !

FD : Comment établir le lien entre ces phases et la procrastination ?

BF : L’enfant principal questionné dans la procrastination est celui qui correspond à la phase impulsive de Wilber où on est, chez Freud, un pied dans le stade anal, un pied dans le stade génital.

Dans la partie archaïque, l’enfant qui a été blessé (ou qui en a le sentiment… notre cerveau ne fait pas la différence entre les deux) est traumatisé. Le besoin d’être sécurisé se manifeste dans sa vie de manière récurrente. Ce sont de petites phrases que l’on se répète. Il s’agit de programmation cellulaire. Il est de loin plus efficace de passer par le corps pour soigner ça, grâce à des techniques psychocorporelles. Une approche verbale, faisant appel à notre capacité à contrôler notre environnement avec la pensée, se montre souvent peu utile car elle s’adresse à notre moteur mental, celui-là même qui est en difficulté ! …

Dans la phase impulsive, ce qui est questionné, ce sont les limites : « quand est-ce que je peux donner ? Prendre ? »

Je donne mon caca et c’est agréable car les parents se pâment (à juste titre d’ailleurs), même si ça suscite aussi leur dégoût… c’est toute l’ambiguïté de la chose… nous prétendons être des êtres cohérents et logiques, dans les faits c’est rarement le cas.

Quand il y a procrastination sur un sujet où un seul enfant intérieur est blessé, ce n’est pas trop impliquant.

FD : Que faire dans ce cas ?

BF : Utiliser une technique paradoxale, fixer des échéances et mettre la personne en situation de « double contrainte positive ».

Par exemple, je dois donner ce coup de fil à 9h. J’ai jusqu’à 9h15 pour boucler cette tâche. Si je n’y arrive pas pour vendredi (l’échéance que je me suis fixée), je n’ai plus le droit d’y toucher avant 15 jours. Le thérapeute reporte donc à plus tard que ce que la personne aurait elle-même choisi. C’est paradoxal mais ce qui est efficace dans cette approche, c’est le fait d’alléger la pression interne que s’impose la personne. Sans l’intervention du thérapeute, la personne aurait passé les 15 jours à « gamberger » sur le fait qu’elle aurait dû passer ce fichu coup de fil. Là, elle est au moins libérée d’une partie de son stress … Elle apprend à lâcher prise et retrouve une partie de sa liberté de choix.

Attention, il faut aussi veiller à donner l’autorisation de ne pas se sentir coupable.

La personne a reçu cette autorisation même si cela n’a pas été dit clairement. On libère de l’énergie derrière la procrastination à 2 niveaux :

  1. L’anxiété par rapport à l’enjeu.
  2. La culpabilité au stade anal.

FD : Et si plusieurs enfants intérieurs sont impliqués ?

BF : Je vais vous donner l’exemple d’un patient  qui n’a pas de discipline dans son travail administratif. Une partie rebelle en lui dit : « celui qui me dominera n’est pas né ! »

Cette personne, un indépendant, est restée 18 mois – j’ai bien dit 18 ! – sans facturer quoi que ce soit ! Vous imaginez le – pardonnez-moi l’expression – bordel quand elle a dû se remettre à jour !

FD : Comment peut-on en arriver là ?

BF : Un ami lui a demandé de travailler en sous-traitance. Il travaille toujours avec lui en confiance sans forcément tout noter dans l’agenda et le jour où il faut facturer, il manque des tas d’infos. Donc il postpose.

Cela dit, le côté désorganisé est le plus facile à gérer, avec des time sheets, des procédures, etc.

Ce qui se passe dans les tripes, c’est une autre histoire. Il y a de la culpabilité à ne pas l’avoir fait assez tôt, alors il repousse encore l’échéance pour ne pas affronter cette culpabilité.

Intervient alors un 3e enfant intérieur. Quand la personne était enfant, son  père était castrant, avec une relation à l’argent biscornue. En effet, pour le père, l’argent était soit une punition, soit une récompense. La relation à l’argent n’était jamais neutre. L’argent, ici, est lié non pas à ce que tu fais mais à ce que tu es. Le sentiment qui peut en découler… c’est la honte…

FD : Et cela engendre de la procrastination ?

BF : Oui. Une partie de lui procrastine. Quand est-ce qu’il donne ? Quand est-ce le moment ? Quand il était gamin, son papa n’était pas au clair avec l’argent. Alors, comment gérer la relation à l’argent aujourd’hui ?

Il doit donc déconstruire ses croyances, ce qui le touche aux tripes. Et il doit le faire avec douceur car il y a un grand besoin d’être sécurisé, ce besoin étant lié à un autre enfant intérieur.

FD : Vous parliez aussi de la honte ? 

BF : Effectivement, car à bientôt 50 ans, il n’est pas fier de fonctionner ainsi, de là la honte.

Bref, si 2 ou 3 enfants intérieurs se mélangent, le thérapeute doit travailler en dentelle.

La personne doit reconnaître ce qui se joue, et accepter de se montrer tout nu sans chercher à obtenir un regard bienveillant du thérapeute. Ce n’est pas facile et ça demande un investissement personnel qui va au-delà du cadre du coaching traditionnel.

En conclusion, si le problème n’est pas lourd, quelques outils suffisent. S’il est plus complexe, il s’agit de se confronter à ses peurs archaïques, que la plupart des gens essaient d’anesthésier.

FD : Qu’est-ce qui peut nous amener à les anesthésier et comment ?

BF : Comment ? « Grâce » à l’argent, au pouvoir. Ce sont des moyens d’éviter l’anxiété… Et la procrastination, je le répète, n’en est qu’un symptôme…

A ce propos, il serait bien utile de regarder sans jugement certaines de nos méthodes éducatives… Quand on dit à un enfant : « quand tu seras grand, tu feras comme tu veux… » En fait, nous initions la procrastination ! Que ce réflexe s’exprime ensuite à l’âge adulte sur d’autres enjeux de la vie quotidienne n’est que le miroir d’habitudes apprises face aux figures d’autorité que nous avons rencontrées dans notre histoire personnelle.

Il est d’ailleurs très intéressant de constater que dans des situations de procrastination, ce n’est pas la personne elle-même qui souhaite en sortir. Elle y est le plus souvent poussée par son environnement (chef direct, hiérarchie, conjoint, contrôleur fiscal, etc..). A méditer 😉 … en conscience et avec bienveillance, svp !

FD : Merci beaucoup Benoit !


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