Le roi au balcon
21 juillet 2013. Dans un pays imaginaire, si petit que les visées sont étroites et les esprits souvent rétrécis comme des pulls en laine vierge oubliés dans une machine à laver à 90 degrés, vit un vieux roi avec sa vieille reine. Il est las le roi. Las d’être le souverain d’une équipe de foot – ben oui, à part l’équipe de foot, il reste quoi ? J’ai loupé un épisode ? -, las de n’avoir rien à dire mais d’être forcé de le dire quand même. Et comme il a un beau bateau dans un autre pays, il décide de laisser la direction de l’équipe de foot à son jeune fiston de 58 ans. Ou 57 ? Je n’sais plus.
L’autre, tout excité, met son costume de d’Artagnan. Oups pardon : d’Artagnan, c’était le mien de costume quand j’avais 6 ans. Acheté par mes parents aux Galeries Lafayette. Celui du royal fiston est bleu gris comme la mer du nord. Un signe ? Un ruban violet type Miss Brabant wallon lui barre le torse et le dos dans la diagonale. A ses côtés, sa Tour de Pise d’épouse surveille la royale marmaille. Les médias nous ont déjà prévenus : la petite Elisabeth sera une grande reine. Elle a 11 ans.
21 juillet 2013 donc dans ce pays imaginaire. Le fiston est au balcon avec sa blonde et ses chérubins dont la future reine formidable puisque les médias savent de quoi ils parlent. Pas cons les médias. Philippe ou Philip ou Filip s’avance. Il est au balcon j’ai dit. Au balcon du palais imaginaire. Devant la foule des anonymes. Car les pas cons de médias le disent : il y a les célébrités, les people. Et au pays imaginaire, les people ont un nom. Tous les autres sont des anonymes. Des gentils. Des pas méchants. Des grâce à qui d’ailleurs les célébrités sont célèbres et peuvent avoir un nom et sourire au premier rang et dire qu’elles aiment la simplicité. Même qu’un jour, une célébrité de chanteuse d’un autre pays imaginaire voisin – Shy’m qu’elle s’appelle – a parlé de sa vie d’avant la célébrité. « Quand j’étais normale » elle a dit. Car quand tu es célèbre, tu n’es pas normal. Par exemple, ton nez ne produit pas de crottes. Ton PC ne se plante pas et où que tu ailles, la connexion Wifi est excellente. Tes nectarines sont toujours mûres mais jamais trop. Il y a une paire de ciseaux disponible quand tu en as besoin. Tu ne rencontres que des gens qui ont un nom. Et tu as un nom grâce à tous les gens qui n’en ont pas. Les normaux justement.
Revenons à Fil qui n’en croit encore ni ses yeux ni ses oreilles. Il en est tout hébété (dans hébété il y a hé) Phil : « tout ça rien que pour moi ! ». J’étais comme lui quand je suis « devenu d’Artagnan ». Je le comprends. Et le vieux roi, son papounet, de rejoindre sa bru et la chair de sa chair, histoire de leur montrer comment on doit saluer les anonymes. Fastoche : suffit d’imiter Mickey et Minnie à Disneyland.
Plus tard dans la soirée, Philou est encore au balcon, dans un autre costume tout neuf et sans ressembler à Miss Brabant wallon. Car c’est à nous qu’il ressemble maintenant. Il progresse vite King Fil, waouh ! Mathilde – qui est revenue – est habillée en bariolé genre test de Rorschach, et palpe d’abord le royal pectoral (le droit), tentant encore de bécoter la boubouche de Belgique. Faut croire qu’il lui manque de l’entraînement. Plus tôt dans la journée, au balcon précédent – c’est qu’ils aiment les perchoirs les loulous – elle avait carrément embrassé … l’air… alors que boubouche de Belgique avait visé les lèvres et échoué sur … la joue ! Caramba. Encore raté ! Ici, Mathilde fond sur la nuque. L’autre du bras droit la serre (à défaut de se toucher de la bouche, faut bien montrer à ses sujets qu’on s’aime ; un couple royal ça s’aime et ça a beaucoup d’enfants), comme s’il réglait « son conte », et de la main gauche s’empare d’un micro. J’ai dit « gauche » ?
« Ensemble, dit-il, ensemble… » Et là Fil ou Phil se tait. En fin communicateur, en habile stratège dompteur de foules anonymes – nous -, royal fiston Fil laisse un silence. Ce silence dont on sait que placé avant un argument, il en décuple l’impact. Phil se tait donc.
Les anonymes sont suspendus aux lèvres du balcon. Les nuages mêmes ont arrêté leur course. Un temps. Plus tard on apprendra que Barak Obama himself a stoppé net toutes ses activités (un match de basket contre les vétérans du débarquement d’où il semblait pourtant pouvoir émerger avec un nul) pour attendre, devant son téléviseur, LE moment de vérité. Le pape Benoît XVI, ah non pardon c’est l’autre, y en a un autre oh bon sang, ah oui François j’y suis, « vas-y Franckie c’est bon » (c’est mon moyen mnémotechnique), le pape attend lui aussi le onzième commandement.
Il y a eu MLK et « I have a dream« , il y a eu De Gaule et « Je vous ai compris« , Kennedy et « Ich bin ein Berliner« . Il y a eu Sarkozy et « Casse-toi alors pauv’ con« , Philippe Bouvard et « De madame Bellepaire de Miche« , il va y avoir un autre Philippe ou Philip ou Filip avec « Ensemble, ensemble… » Ensemble QUOI ? Rapsat par exemple, aurait enchaîné : « même si on est différent… »
QUE VA-T-IL dire ? Nous sommes les sujets je l’ai déjà dit. La journaliste l’a dit. IL ne peut être que LE Verbe ! L’air s’est raréfié devant le palais imaginaire. Fil va nous dire un truc énorme. Qu’il va inverser la courbe du chômage (non, ça son voisin hollandais l’a dit déjà), qu’il va résoudre le conflit à l’orient (le proche, le moyen ou le lointain allez savoir), se déplacer en calèche pour protéger la planète. NOOON ! J’ai compris ! Il va pacifier le pays imaginaire. Trop fort Fil. J’en pleure. Obama n’y croit pas. François est baba. Sarko pataud. Aucun ne pourra jamais rivaliser avec toi dans l’Histoire Fil. Aucun d’eux. C’est ça que tu vas nous dire hein ? Ou que plus jamais les roux ne seront la risée du monde ? C’est bon aussi ça les roux !
Phil s’est emparé du micro. Il nous darde un regard. Je manque d’exploser.
Quand soudain : « Ensemble, ensemble… Nous avons vécu une très très belle journée.«
Et la foule des anonymes à tout rompre d’applaudir, béate et ravie. Mais il m’arrive parfois d’être béat aussi. Bienvenue en Médiocratie.
Bon Vol avec les Aigles les Amis,
Anonyme
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