Un premier virage à angle droit, un deuxième, un troisième. Le champ est ainsi tracé. Ainsi contourné par une large bande herbeuse. Caretina, la jument de Gary, chauffe. Son galop est sautillant, hoquetant. Gary. Les rênes lui brûlent la paume. Ombre est à sa hauteur. Je sens monter en elle comme une éruption. Le feu couve. Il couve sous moi. Bientôt la citerne. Gary dit qu’au virage de la citerne, c’est la ligne droite. La course commencera là.
Encore des virages. Encore des angles droits. Et les chevaux qui dansent. Citerne dans la ligne de mire. Un coup d’œil vif vers la droite. Une immense étendue d’herbe fraîche nous attend.
Gary et Caretina virent en tête. Bientôt je ne les verrai plus. Nous sommes côte à côte un instant mais irrésistiblement, Ombre se détache … puis s’envole. Depuis le début, mes rênes sont tendues. Je suis debout sur les étriers, muscles tendus aussi. Pas crispés. Là, je détends tout. Muscles, rênes. Je m’allonge sur Ombre. Elle a compris. Elle sait. Quelles images traversent la tête d’un cheval si toutefois il en traverse ? Se souvient-elle du parfum des champs de courses ? Des cris des parieurs ? Du vrombissement sourd des sabots sur la pelouse ? Sûrement elle se souvient.
À cet instant, comment décrire l’indescriptible ? Comment dire l’indicible ? Je voudrais arrêter d’écrire tant les mots manquent. Pour la beauté intense, il n’y a que le silence.
Une déflagration. Un déferlement. Un déchaînement. Ombre n’est plus qu’énergie. Un condensé d’énergie qui fend l’atmosphère. Fondu en elle, je touche le bonheur. Le palpe. Pleurer de joie ? Presque. J’ai connu ça deux fois déjà. Ses foulées sont si longues, si longues. Je deviens Ombre. N’entends plus rien. Nous sommes propulsés vers un infini de liberté, un Paradis qui n’est que pour nous. Hors du monde. Hors du temps. Il a dû se suspendre. Il la regarde. Comme elle doit être belle. Sans doute son corps écume. Sans doute ses naseaux sont grands ouverts. Sans doute ses veines gonflées du sang de la joie.
Ombre ne touche plus le sol. Ou c’est le sol qui n’ose plus la toucher ? Il n’y a plus rien. Que nous. Que cette danse merveilleuse au rythme insensé. Que ce jaillissement pur pour l’éternité. Nous ne sommes plus sur la terre. Nous effleurons le ciel.
« Être à cheval a dit Jérôme Garcin, c’est être entre ciel et terre, à une hauteur qui n’existe pas. »
Cette hauteur-là, je la connais.
Si vous volez avec les Aigles les Amis, peut-être croiserez-vous un cheval. Elle s’appelle Ombre.
Fabian
Rien que pour un instant, nous ne sommes plus qu’Un…
La force, le frémissement, le fracas et le sable qui vole ;
Nous sommes bouillonnement, sueur et larmes qui s’écoulent ;
La vitesse, le vent qui siffle et étourdit ;
Nous sommes la fougue, l’embrasement et le tonnerre…
L’espace d’un instant volé à l’immensité, nous sommes la Communion des éléments,
Nous sommes l’Harmonie,
Nous sommes le Tout…
Rien que pour un instant…
C’est ça, Catherine. C’est ça exactement.
Merci.